MYTHOLOGIE DU PORTABLE Le nouvel engouement des téléphones mobiles vintage par Laurence ALLARD
Maîtresse de conférences en Sciences de la Communication, chercheuse à l'Université Paris 3-IRCAV, enseigne à l'Université Lille 3 et vit à Paris.
- Comment expliquer ce nouvel engouement pour les téléphones mobiles vintage ?
Laurence Allard : Je ne pense pas que cet engouement pour les téléphones mobiles vintage ait trait à une tactique de détox ou de soustraction à une addiction. Au contraire, il peut s'agir de multi-équipement mais avec la possibilité d'acheter un nouveau téléphone, moins pour sa valeur fonctionnelle que pour sa valeur symbolique. Ce phénomène est assez intéressant car il donne au téléphone mobile un statut d’objet culturel, porteur d'une histoire, dont la valeur n’est pas que l’usage, mais aussi dans sa symbolique. D’autant plus qu’on parle en ce moment même du retour sur le marché du Nokia 3310 qui est un parfait exemple de cet engouement. Il représente une histoire, celui qui a été le plus vendu, l’un des tout premiers téléphones qui a permis la massification à l'échelle de la planète de la téléphonie mobile. Ce Nokia est emblématique de l’histoire du mobile. C’est assez intéressant d'observer cette dynamique de défonctionnalisation d’un objet qui devient par la suite un objet de collection, un objet qui n’est plus produit et donc, qui devient rare. Ceci montre qu’il y a une mémoire dans la consommation, c’est-à-dire que le plus beau et le plus neuf n’est pas forcément le plus désirable. La course de vitesse à l’innovation et avoir du goût pour un objet ancien ne sont finalement pas antinomiques. C’est un phénomène qu’on connaissait dans d’autres secteurs mais au sujet des téléphones mobiles, c’est assez nouveau.
Quelle place ce segment tient-il sur le marché de la téléphonie mobile ?
Un marché de la téléphonie vintage est peut-être en train de se structurer. Et c’est ça qui est assez étonnant : dans les pays émergents, les téléphones simples sont ceux qui vont être utilisés par le plus grand nombre (même si en Afrique, on observe une nette augmentation de la vente de smartphones), tandis que dans les pays développés équipés majoritairement de smartphones, on va avoir un marché émergent de téléphones "simplets" collector.
Quel type de population est généralement concerné ?
A mon avis, cela concerne des publics qui s'intéressent à la rétro-technologie comme par exemple le steampunk ou le rétro-gaming. Socio-démographiquement et sociologiquement, on ne peut pas encore vraiment déterminer le public concerné par ce genre de téléphones mais il est clair qu’il a concerné des publics dont le regard sur ces objets fonctionnels est avant tout historicisant et nostalgique. Cela s’inscrit dans la logique relativement nouvelle des collectionneurs et de l’attrait pour la rareté dans la société de consommation.
Peut-on considérer cette tendance comme étant un refus d'être surconnecté ?
Lors d’un cours que j’ai animé, un étudiant nous a montré le Nokia 3310 qu’il venait juste d’acquérir. Je lui ai demandé s’il comptait continuer à utiliser son smartphone et il m’a répondu que bien sûr, il allait encore l’utiliser. Tout ça pour dire que ce n’est pas forcément un achat qui est lié à une intention de se déconnecter de son smartphone, mais plutôt à un attachement culturel et historique. Ce n’est pas parce que c’est plus simple que l’on sera moins connecté de toute façon. Lorsque ces téléphones sont sortis, on était tout aussi attaché. J’insiste sur le terme « attaché » étant donné que je ne considère pas qu’on puisse être véritablement accro à son portable ou smartphone. Finalement, c’est un objet qui nous accompagne au quotidien, qui nous offre des fonctionnalités similaires à celles d’un couteau suisse. Après, bien sûr il y a des cas pathologiques, mais on ne peut pas attribuer une pathologie à toute une génération.
Est-ce une démarche réellement écoresponsable ?
Ça peut être une des motivations d’achat, mais comme je vous l’ai dit, c’est avant tout l’attrait de l’objet de collection, de l’objet culturel devenu rare et représentatif d'un moment historique dans les technologies. D’autant plus qu’on peut se poser la question du pourquoi ce Nokia et pas un autre vieux téléphone. Parce qu’il est emblématique, c’est le symbole du téléphone mobile, de sa massification et de son utilité quotidienne. Le goût du rétro, du vintage est plus lié au rapport avec le temps et la symbolique que pour le côté développement durable. Par contre, c’est là où ce phénomène est intéressant, même si ce n’est pas le but premier, c’est un achat qui nourrit dans cette mouvance. Comme quoi, la consommation high-tech et la course à l’innovation peuvent s’inscrire dans une logique circulaire d’achat.
Quel avenir pour cette tendance ?
Il peut avoir un avenir suivant deux logiques. Premièrement, c'est à partir du moment où il y a un temps long des usages qui est advenu et qu’il y a la possibilité d’avoir un rapport plus historique aux mobiles qu'on est plus dans cette logique de collection, de culture rétro-technologique. Deuxièmement, le vintage a également un avenir dans un contexte de crise, la consommation peut devenir plus circulaire, c’est-à-dire avec cette logique d’achat-revente et de recyclage, pas uniquement d'ordre écologique mais aussi économique. Le vintage peut devenir une valeur culturelle mais aussi une nécessité économique. Pour parler plus spécifiquement des téléphones, oui, ils peuvent tout à fait s’inscrire dans une nécessité économique comme dans un souci de nostalgie, les deux amenant à penser à recycler au profit de l'environnement.
Laurence Allard est sociologue de l’innovation et ethnographe des usages des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle est également maîtresse de conférences en Sciences de la Communication, enseignante à l’Université Lille 3, et chercheuse à l’Université Paris-3, IRCAV (Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel). Elle travaille sur les pratiques expressives digitales (Web 2.0, remix, internet mobile), des thèmes «mobile et société», «politique technique et art/culture» ou la «culture des data». Elle est en particulier l’auteure de «Mythologie du portable»